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Poèmes sur le travail.

dimanche 4 septembre 2016, par omedoc

Poèmes sur le travail.

Certains En audio

Au travail ! [1]

Au travail ! Au travail ! qu’on entende partout
le bruit sain du travail et d’un peuple debout !
Que partout on entende et la scie, et la lime,
La voix du travailleur qui chante et qui s’anime !
Que la fournaise flambe et que les lourds marteaux,
Nuit et jour, et sans fin, tourmentent les métaux.
Rien n’est harmonieux comme l’acier qui vibre,
Et le cri de l’outil aux mains d’un homme libre !
Au fond d’un atelier, rien n’est plus noble à voir
Qu’un front tout en sueur, un visage tout noir,
Un sein large et bronzé que la poussière souille,
Et deux robustes bras tout recouverts de houille !
Au travail ! Au travail !

Poème de BRIZEUX

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L’EFFORT [2]

Groupes de travailleurs, fiévreux et haletants,
Qui vous dressez et qui passez au long des temps
Avec le rêve au front des utiles victoires,
Torses carrés et durs, gestes précis et forts,
Marches, courses, arrêts, violences, efforts,
Quelles lignes fières de vaillance et de gloire
Vous inscrivez tragiquement dans ma mémoire !

Je vous aime, gars des pays blonds [3] beaux conducteurs
De hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous, bûcherons roux des bois pleins de senteurs,
Et toi, paysan fruste et vieux des blancs villages,
Qui n’aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d’une ample main
D’abord en l’air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu’elle en vive un peu, avant de choir en terre ;

Et vous aussi, marins qui partez sur la mer
Avec un simple chant, la nuit sous les étoiles,
Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles
Et qu vibrent les mâts et les cordages clairs ;
Et vous, lourds débardeurs, dont les larges épaules
Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils,
les navires qui vont et vont sous les soleils
S’assujettir les flots jusqu’aux confins des pôles ;

Et vous encor, chercheurs d’hallucinants métaux,
En des plaines de gel, sur des grèves de neige,
Au fond des pays blancs où le froid vous assiège
Et brusquement vous serre en son immense étau ;
Et vous encor, mineurs qui cheminez sous terre,
Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents
Jusqu’à la veine étroite où le charbon branlant
Cède sous votre effort obscur et solitaire ;

Et vous enfin, batteurs de fer, forgeurs d’airain,
Visages d’encres et d’or trouant l’ombre et la brume,
Dos musculeux tendus ou ramassés soudain,
Autour de grands brasiers et d’énormes enclumes,
lamineurs noirs bâtis pour un œuvre [4] éternel
Qui s’étend de siècle en siècle toujours plus vaste,
Sur des villes d’effroi, de misère et de faste,
je vous sens en mon cœur, puissants et fraternels !

O ce travail farouche, âpre, tenace, austère,
Sur les plaines, parmi les mers, au cœur des monts,
serrant ses nœuds partout et rivant ses chaînons
De l’un à l’autre bout des pays de la terre !
O ces gestes hardis dans l’ombre ou la clarté,
ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses,
Ces bras, ces mains unis à travers les espaces
Pour imprimer quand même à l’univers dompté
la marque et l’étreinte et de la force humaines
Et recréer les monts et les mers et les plaines

D’après une autre volonté.

ÉMILE VERHAEREN, La Multiple Splendeur.

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La main de l’artisan [5]

Main d’artisan, ô main calleuse ! qu’ennoblit,
Le dur labeur de la tâche quotidienne,
Main sans cesse ébranlée au choc des établis,
Familière du poids des fardeaux et des peines ;

Main meurtrie et blessée, où quelquefois on lit,
Blanche ligne à côté du sillon bleu des veines,
L’entaille de l’outil dans le réseau des plis ;
main rude et ferme comme une écorce de chêne !

Main qui ne connaît pas la molle oisiveté
Et qui, le froid hiver ou le brulant été,
Travaille sans répit pour vaincre la misère

Hâtive d’assurer le pain du lendemain,
Combien j’aime sentir ton étreinte sincère,
main noire d’artisan, ô vigilante main !

AMÉDÉE PROUVOST. Extrait de GOT. L’Arc-en-fleur.
(B.GRASSET, éd)

A l’époque la douleur physique au travail était considérée comme normale (où bien c’est ce qu’on voulait mettre dans la tête des jeunes élèves du primaire). Est-ce que les travailleurs en souffraient ? [6] Y avait-il des Troubles Musculo Squelettiques ? [7]. Ils n’avaient pas le choix. Ils étaient dans la misère, il n’y avait pas de sécurité du revenu. [8]. Et puis aussi l’oisiveté était déjà mal vue [9]. A noter aussi que l’étreinte de cette main est qualifiée de sincère. A la fermeté de la main correspond la fermeté du caractère, [10] donnée comme une valeur morale, et qui exprime aussi l’idée qu’une vie authentique serait une vie de travail et de souffrance.

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LE LABOUREUR [11] [12]

Le semoir, la charrue, un joug, des socs luisants,
La herse, l’aiguillon et la faulx acérée
Qui fauchait en un jour les épis d’une airée [13],
Et la fourche qui tend la gerbe aux paysans ;

Ces outils familiers, aujourd’hui trop pesants,
Le vieux Parmis les voue à l’immortelle Rhée [14]
par qui le germe éclôt sous la terre sacrée.
Pour lui sa tâche est faite ; il a quatre-vingts ans.

Près d’un siècle, au soleil, sans être plus riche,
Il a poussé le coutre au travers de la friche :
Ayant vécu sans joie, il vieillit sans remords.

mais il est las d’avoir tant peiné sur la glèbe
Et songe que peut-être il faudra, chez les morts,
Labourer des champs d’ombre arrosés par l’Érèbe
 [15].

JOSÉ-MARIA DE HEREDIA, Les Trophées.

Mon commentaire :
Là aussi il s’agit d’émouvoir afin de mieux faire passer la leçon de morale [16] :
Il faut faire son devoir même s’il n’a pas permis de gagner plus [17], même s’il n’amène que de
la peine, afin d’éviter le remord [18] [19].
La retraite était à l’époque à 80 ans ! [20]
Le paradis qui les attend en récompense c’est de continuer à faire le même travail ! Comme quoi le travail est bien une valeur !!!
Un agriculteur expliquait récemment que cette imagerie était totalement fausse actuellement. Tout est mécanisé, des produits chimiques sont utilisés, on est loin de la nature. C’est donc pas ça qui peut faire rêver ou donner lieu à morale sur la valeur travail.
Ici travail et misère sont associés [21].

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La légende du forgeron [22].

Un forgeron forgeait une poutre en fer,
Et les dieux, les esprits invisibles de l’air,
Les témoins inconnus des actions humaines,
— Tandis qu’autour de lui bruissait par centaines,
Les étincelles d’or faisaient comme un soleil —,
Les dieux voyaient son cœur à la forge pareil,
Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées,
Étincelles d’amour en tous sens élancés !
Car, tout en martelant le fer de ses bras nus,
Le brave homme songeait aux frères inconnus
A qui son bon travail serait un jour utile ...
Et donc, en martelant la poutre qui rutile [23],
Il chantait le travail qui rend dure la main,
Mais qui donne un seul cœur à tout le genre humain !

Tout à coup la chanson du forgeron s’arrête :
« Ah ! dit-il tristement en secouant la tête,
Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien :
Une paille [24] est dedans, recommençons. » C’est bien !
Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste,
Il ne plaint pas l’effort de son torse robuste ;
Il sait ce qu’il doit, c’est un travail bien fait,
Qu’une petite cause a souvent grand effet,
Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu’en somme !
Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d’homme !
Les étincelles d’or faisaient comme un soleil,
Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil,
— Étincelles d’amour en touts sens enlacées —
Jaillissaient le courage et les bonnes pensées.

Et la poutre de fer dont l’ouvrier répond
Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d’un pont ;
Et sur ce pont hardi qui fléchit et qui tremble [25],
Voici qu’un régiment — six cents hommes ensembles —
Passe, musique en tête ; et le beau régiment
Sent sous ses pas le pont fléchir affreusement ...
Le pont fléchit, va rompre [26] ... Et les six cents pensées
Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées,
Et, dans le cœur des gens qui voient cela des bords,
la patrie a déjà pleuré les six cents morts !
Chante, chante dès l’heure où ta forge s’allume
Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume !
Le pont ne rompra pas ! le pont n’a pas rompu !
Car le bon ouvrier a fait ce qu’il a pu,
Car la barre de fer est solide et sans paille ...
Chante, bon ouvrier, chante en rêvant, travaille ;
Règle tes chants d’amour sur l’enclume, et bat dans ta chanson !...
... Les étincelles d’or en tout sens élancées,
C’est le feu de ton cœur et tes bonnes pensées.

L’homme [27] n’a jamais su, l’homme ne saura pas
Combien d’hommes il a soutenu le bras
Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine !
Et pas un soldat, et pas un capitaine
Ne saura qu’il lui doit la vie, et le retour
Au village, où l’attend le baiser de l’amour.
Nul ne dira : « Merci, brave homme ! » à l’homme juste
Qui fit un travail fort avec son bras robuste ...

Mais peut-être qu’un jour, quand ses fils pleureront
En rejetant le drap de son lit sur son front,
Quand la mort lui dira le secret de l’oreille [28],
Peut-être il entendra tout à coup ... ô merveille ! ...
Il verra les esprits invisibles de l’air
Lui conter le destin de sa poutre en fer ;
Et lorsqu’on croisera ses pauvres mains glacées,
Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées [29],
laissant sa vie à tous en exemple, en conseil,
sentira rayonner son cœur comme un soleil !

Jean AICARD. Le livre des Petits. (Delagrave, édit.)

LE BOULANGER [30] [31]


— Que fais-tu là, boulanger ?
— Je fais du pain, pour manger.
Tu vois je pétris la pâte.
Le monde à faim ; je me hâte. [32]

— Mais tu gémis, boulanger
— Je gémis... sans m’affliger : [33]
Je geins, en brassant la pâte.
Le monde à faim ; je me hâte.

— Qu’as-tu fait là, boulanger ?
— J’ai, pour faire un pain léger,
Mis du levain dans la pâte.
Le monde à faim ; je me hâte. [34]

— Que dis-tu donc, boulanger ?
— J’ai mes pelles à charger,
Quand J’aurai coupé ma pâte
Le monde à faim ; je me hâte [35]

— Et puis après, boulanger ?
— Dans mon four, je vais ranger
Tous mes pains de bonne pâte.
Le monde à faim ; je me hâte.

— N’as-tu pas chaud, boulanger ?
— Si ; mais pour m’encourager,
La chaleur dore ma pâte
Que je retire en grand-hâte.

— Merci, brave boulanger
Le monde pourra manger !

Vous avez reconnu Jean Aicard bien sûr...


Les Bœufs. [36]

J’ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux ;
La charrue est en bois d’érable.
L’aiguillon en branche de houx.

C’est par leurs soins qu’on voit la plaine
verte l’hiver, jaune l’été ;
Ils gagnent en une semaine
Plus d’argent qu’ils n’en ont coûté.

Les voyez-vous, les belles bêtes,
Creuser profond et tracer droit,
Bravant [37]. la pluie et les tempêtes.
Qu’il fasse chaud, qu’il fasse froid.

Lorsque je fais halte pour boire,
Un brouillard sort de leurs naseaux,
Et je vois, sur leurs cornes noires,
Se poser les petits oiseaux.

PIERRE DUPONT. Chansons.
[Garnier, édit.]

Mon commentaire : ici les travailleurs, ce sont des bœufs : ils gagnent plus d’argents qu’ils n’en ont coûté, ils font bien leur travail sans se plaindre de certaines conditions pénibles de travail. Conséquence : c’est beau !
Je ne sais pas en réalité si la vie était aussi heureuse pour des bœufs de labour...


Le laboureur et le boulanger travaillent pour les autres. C’est leur motivation principale. Ils travaillent dur et souffrent pour la société.

La beauté du travail. De nos jours, la beauté du travail, la majesté du travail est livrée à la vulgarité de la finance, de la lutte contre les déficits, des procédures et tableaux de bords. Tout ce qui n’est pas efficace n’a pas de valeur. le travail est dépoétisée, propice au désabusement et à la (mauvaise) souffrance. Aliénation de nos personnes à un travail sans sens, besogneux, nocif. Seule antidote, l’attention, l’étonnement, le sens critique. On nous réduit à une gestuelle répétitive jusqu’à l’abrutissement. [38]

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La complainte des tisseuses de soie [39]

Toujours drap de soie tisserons
Et n'en serons pas mieux vêtues,
Et toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons.
Et jamais tant gagner ne saurons
Que mieux en ayons à manger.
Du pain avons à partager
Au matin peu et au soir moins
[Jamais de l’œuvre de nos mains
N'aura chacune pour son vivre
Que quatre deniers de la livre.
Et de ce ne pouvons-nous pas
Assez avoir viandes et draps ;
Car, qui gagne dans a semaine
Vingt sous, n'est mie hors de peine.
Et sachez vraiment a estrouz (clairement)
Qu'il n'y a celle d'entre nous
Qui ne gagne vingt sous au plus.
De cela serait riche un duc !]
Et nous sommes en grande misère,
Mais s'enrichit de nos salaires
Celui pour qui nous travaillons.
Des nuits grande partie veillons
Et tout le jour pour y gagner.
On nous menace de rouer
Nos membres quand, nous reposons;
Aussi reposer nous n'osons.
CHRÉTIEN DE TROYES, Le chevalier au lion

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Prévert :

LE TEMPS PERDU

Devant la porte de l’usine
le travailleur soudain s’arrête
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?

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Arthur Rimbaud

Le forgeron, extrait.

"Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front,
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,
Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire
D’une femme qu’on aime avec un noble amour :
Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l’on se sentirait très heureux ; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer...

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Avec une bêche à l’épaule,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à l’âme, un grand courage,
Il s’en allait trimer aux champs !

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps !

Pour gagner le pain de sa vie,
De l’aurore jusqu’au couchant,
De l’aurore jusqu’au couchant,
Il s’en allait bêcher la terre
En tous les lieux, par tous les temps !

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps !

Sans laisser voir, sur son visage,
Ni l’air jaloux ni l’air méchant,
Ni l’air jaloux ni l’air méchant,
Il retournait le champ des autres,
Toujours bêchant, toujours bêchant !

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps !

Et quand la mort lui a fait signe
De labourer son dernier champ,
De labourer son dernier champ,
Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant...

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps !

Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant,
En faisant vite, en se cachant,
Et s’y étendit sans rien dire
Pour ne pas déranger les gens...

Pauvre Martin, pauvre misère,
Dors sous la terre, dors sous le temps !

BRASSENS , Georges ; Pauvre martin

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Les laboureurs

(extraits, 9ème époque)

... Déjà, tout près de moi, j’entendais par moments
Monter des pas, des voix et des mugissements :
C’était le paysan de la haute chaumine
Qui venait labourer son morceau de colline,
Avec son soc plaintif traîné par ses boeufs blancs,
Et son mulet portant sa femme et ses enfants. ...

Laissant souffler ses boeufs, le jeune homme s’appuie
Debout au tronc d’un chêne, et de sa main essuie
La sueur du sentier sur son front mâle et doux ;
La femme et les enfants tout petits, à genoux
Devant les boeufs privés baissant leur corne à terre,
Leur cassent des rejets de frêne et de fougère,
Et jettent devant eux en verdoyants monceaux
Les feuilles que leurs mains émondent des rameaux.
Ils ruminent en paix, pendant que l’ombre obscure
Sous le soleil montant se replie à mesure,
Et, laissant de la glèbe attiédir la froideur,
Vient mourir, et border les pieds du laboureur.
Il rattache le joug, sous la forte courroie,
Aux cornes qu’en pesant sa main robuste ploie.
Les enfants vont cueillir des rameaux découpés,
Des gouttes de rosée encore tout trempés,
Au joug avec la feuille en verts festons les nouent,
Que sur leurs fronts voilés les fiers taureaux secouent,
Pour que leur flanc qui bat et leur poitrail poudreux
Portent sous le soleil un peu d’ombre avec eux.
Au joug de bois poli le timon s’équilibre,
Sous l’essieu gémissant le soc se dresse et vibre ;
L’homme saisit le manche, et sous le coin tranchant,
Pour ouvrir le sillon, le guide au bout du champ.
...
La terre, qui se fend sous le soc qu’elle aiguise,
En tronçons palpitants s’amoncelle et se brise,
Et, tout en s’entr’ouvrant, fume comme une chair
Qui se fend et palpite et fume sous le fer.
En deux monceaux poudreux les ailes la renversent ;
Ses racines à nu, ses herbes se dispersent ;
Ses reptiles, ses vers, par le soc déterrés,
Se tordent sur son sein en tronçons torturés.
L’homme les foule aux pieds, et, secouant le manche,
Enfonce plus avant le glaive qui les tranche ;
Le timon plonge et tremble, et déchire ses doigts ;
La femme parle,aux boeufs du geste et de la voix ;
Les animaux, courbés sur leur jarret qui plie,
Pèsent de tout leur front sur le joug qui les lie ;
Comme un coeur généreux leurs flancs battent d’ardeur ;
Ils font bondir le sol jusqu’en sa profondeur.
L’homme presse ses pas, la femme suit à peine ;
Tous au bout du sillon arrivent hors d’haleine ;
Ils s’arrêtent : le boeuf rumine, et les enfants
Chassent avec la main les mouches de leurs flancs.
...
Un moment suspendu, les voilà qui reprennent
Un sillon parallèle, et sans fin vont et viennent
D’un bout du champ à l’autre, ainsi qu’un tisserand
Dont la main, tout le jour sur son métier courant,
Jette et retire à soi le lin qui se dévide,
Et joint le fil au fil sur sa trame rapide,
La sonore vallée est pleine de leurs voix ;
Le merle bleu s’enfuit en sifflant dans les bois,
Et du chêne à ce bruit les feuilles ébranlées
Laissent tomber sur eux les gouttes distillées.

Cependant le soleil darde à nu ; le grillon
Semble crier de feu sur le dos du sillon.
Je vois flotter, courir sur la glèbe embrasée
L’atmosphère palpable où nage la rosée
Qui rejaillit du sol et qui bout dans le jour,
Comme une haleine en feu de la gueule d’un four.
Des boeufs vers le sillon le joug plus lourd s’affaisse ;
L’homme passe la main sur son front, sa voix baisse,
Le soc glissant vacille entre ses doigts nerveux ;
La sueur, de la femme imbibe les cheveux.
Ils arrêtent le char à moitié de sa course ;
Sur les flancs d’une roche ils vont lécher la source,
Et, la lèvre collée au granit humecté,
Savourent sa fraîcheur et son humidité.
...
Mais le milieu du jour au repas les rappelle :
Ils couchent sur le sol le fer ; l’homme dételle
Du joug tiède et fumant les boeufs,qui vont en paix
Se coucher loin du soc sous un feuillage épais.
La mère et les enfants, qu’un peu d’ombre rassemble,
Sur l’herbe, autour du père, assis, rompent ensemble
Et se passent entre eux de la main à la main
Les fruits, les oeufs durcis, le laitage et le pain ;
Et le chien, regardant le visage du père,
Suit d’un oeil confiant les miettes qu’il espère.
Le repas achevé, la mère, du berceau
Qui repose couché dans un sillon nouveau,
Tire un bel enfant nu qui tend ses mains vers elle,
L’enlève, et, suspendu, l’emporte à sa mamelle,
L’endort en le berçant du sein sur ses genoux,
Et s’endort elle-même, un bras sur son époux.
Et sous le poids du jour la famille sommeille
Sur la couche de terre, et le chien seul les veille,
Et les anges de Dieu d’en haut peuvent les voir,
Et les songes du ciel sur leurs têtes pleuvoir.
...
Ils ont quitté leur arbre et repris leur journée.
Du matin au couchant l’ombre déjà tournée
S’allonge au pied du chêne et sur eux va pleuvoir ;
Le lac, moins éclatant, se ride au vent du soir.
De l’autre bord du champ le sillon se rapproche.
Mais quel son a vibré dans les feuilles ? La cloche,
Comme un soupir des eaux qui s’élève du bord,
Répand dans l’air ému l’imperceptible accord,
Et, par des mains d’enfants au hameau balancée,
Vient donner de si loin son coup à la pensée :
C’est l’Angélus qui tinte, et rappelle en tout lieu
Que le matin des jours et le soir sont à Dieu.
A ce pieux appel le laboureur s’arrête ;
Il se tourne au clocher, il découvre sa tête,
Joint ses robustes mains d’où tombe l’aiguillon,
Elève un peu son âme au-dessus du sillon,
Tandis que les enfants, à genoux sur la terre,
Joignent leurs petits doigts dans les mains de leur mère. .

(Lamartine)

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Saison des semailles. Le soir

C’est le moment crépusculaire.
J’admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s’éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main, et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L’ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.

(Victor Hugo)

L’aiguille

Je suis la petite aiguille,
Aux doigts de la jeune fille,
Et des mères de famille,
je vais, je viens, je sautille,
Pour que le monde s’habille
Selon l’âge et les saisons...
Nous cousons, nous cousons.

Les langes et les layettes,
Les mignonnes chemisettes,
les coiffes et les cornettes
Nous les faisons très bien faites,
Pour les petites fillettes
Et les tous petits garçons...
Nous cousons, nous cousons.

Dans la toile, dans la laine,
Dans la robe de futaine,
Dans le manteau de la reine,
Avec mon fil que j’entraîne,
Nuit et jour je me promène,
Et dans toutes les maisons,
Nous cousons, nous cousons.

Jean AICARD. La chanson des petits. (Delagrave, édit.)

BROUILLON

Valeur morale, idéal social

Portfolio


[1Piqué dans "Lecture et langue française. LIVRE PRATIQUE A L’USAGE DES ELEVES DES CLASSES DE FIN D’ETUDES." 1947.

[2Lagarde et Michard 3° p298

[3Commentaire du Lagarde.. : Les pays flamands

[4Commentaire du Lagarde... Œuvre est masculin quand il désigne l’ensemble des ouvrages d’un artiste. mais avec le sens qu’il a ici (travail considérable) le masculin est archaïque.

[5Piqué dans "Lecture et langue française. LIVRE PRATIQUE A L’USAGE DES ELEVES DES CLASSES DE FIN D’ETUDES." 1947.

[6Il faut différencier la douleur de la souffrance, la douleur c’est le côté organique, la souffrance c’est le sens qui est donné à cette douleur

[7Main sans cesse ébranlée au choc des établis, Familière de poids des fardeaux et des peines ;” de quoi donner une tendinite de De Quervain, un canal carpien, des épicondylites, un syndrome de la coiffe des rotateurs.

[8comme les chinois, comme nous bientôt grâce à Sarko. Voir aussi cette réflexion d’un immigré d’aujourd’hui.

[9Main qui ne connaît pas la molle oisiveté

[10main rude et ferme comme une écorce de chêne ! Main qui ne connaît pas la molle oisiveté” c’est à dire le manque de volonté

[11J’ai gardé l’orthographe du livre : mon correcteur n’apprécie pas "éclôt" et ne reconnait pas "la faulx". Les autres notes sont extraites du livre de Lagarde et Michard 4°d’où a été tirée la poésie.

[12Ce sonnet, tiré de la partie des Trophées que Josée-maria de Heredia a consacré à la Grèce et à la Sicile, est l’adaptation poétique d’une épigramme votive : c’était chez les Grecs un court poème accompagnant et expliquant une offrande faite à un dieu. mais le poète français ne s’est pas borné à présenter les outils d’une manière pittoresque et à créer la couleur antique : il suggère les pensées et les sentiments du laboureur. Aussi peut-on retrouver dans la peine et l’inquiétude de Parmis celle des petites gens de tous les temps et un aspect moral qui rend le poème émouvant.

[13Quantité de gerbes que l’on peut, en une seule fois, mettre sur l’aire.

[14Déesse de la terre, épouse de Chronos et mère des Dieux de l’Olympe

[15Région sombre par laquelle passent les morts pour aller aux enfers. Le poète en fait un fleuve.

[16selon le Lagarde et Michard

[17Près d’un siècle, au soleil, sans être plus riche

[18de ne pas avoir fait son devoir donc... (Par rapport à la "terre sacrée")

[19Ayant vécu sans joie, il vieillit sans remords”. Cette juxtaposition est suspecte : faut-il vivre sans joie pour pouvoir ne pas avoir de remords ? A-t-on du remord d’avoir de la joie ? Toute joie est-elle suspecte ?

[20Apparemment, ils étaient usés mais n’avaient pas mal au dos.

[21"mais il est las d’avoir tant peiné sur la glèbe"

[22Piqué dans "Lecture et langue française. LIVRE PRATIQUE A L’USAGE DES ELEVES DES CLASSES DE FIN D’ETUDES." 1947. Les notes sont du livre.

[23Qui rougit et flamboie

[24Un défaut du métal, qui peut en compromettre la solidité

[25Il s’agit probablement d’un pont suspendu

[26Vers 1838, au passage d’un régiment, un pont s’effondra (près d’Angers, un des ponts-de-Cé, sur la loire. Il est possible que jean Aicard (né en 1848 se soit inspiré de ce fait divers qui aurait frappé les esprits, et dont il fut longtemps parlé.

[27Le forgeron

[28Lorsqu’il apprendra le secret de la mort.

[29Lui que ses bonnes pensées feront immortel.

[30piqué dans le livre : "Qui a cassé le vase de soisson ? de Gaston Bonheur"

[31Les notes sont de moi

[32Il faut se "hâter" au travail

[33Le travail fait souffrir, c’est normal. On peut gémir mais, ne pas se plaindre

[34toujours être productif

[35il s’agit de satisfaire un besoin de base : la faim. Travailler pour les gourmands serait moins noble. Qu’en serait-il de travailler pour faire des objets inutiles

[36V. BOUILLOT. Le Français par les textes. LECTURE EXPLIQUÉE. Cours élémentaire. Non daté

[37note du livre : n’ayant pas peur (comme un brave)

[38largement inspiré de Pierre Rabhi. Vers la sobriété heureuse.

[39Deux "traductions" : la première copiée d’un livre scolaire de Français. La seconde entre crochets est une mauvaise traduction copiée de ce site