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Prescription des arrêts de travail : argumentation médicale[version 0.60 du 05/04/08]

lundi 31 mars 2008, par omedoc

ARTICLE RESERVE AUX MEDECINS

La prescription d’un arrêt de travail peut se faire soit en utilisant son sens médical, soit selon une méthode "scientifique". Je vais dans cet article analyser de façon formelle l’indication médicale du repos. J’en déduirai ce qu’il faudrait savoir et ce qu’il faudrait faire pour bien prescrire.

L’indication médicale de l’arrêt de travail n’a jamais été étudiée, et pourtant des millions de prescriptions sont faites tous les mois. Comment les médecins font-ils ? Ils utilisent essentiellement leur intuition médicale (appelé plus couramment bon sens médical [1]) et la connaissance de ce qui se fait habituellement (pour ne pas parler des jugements de valeur, des a priori, des réactions affectives et de son humeur du jour) [2]
.
Il y a plusieurs inconvénients à cette attitude :
 Aucun progrès n’est possible
 Elle entraîne probablement plus d’injustice et de gaspillage qu’une prescription reposant sur une analyse méthodique [3].
 Il est difficile de justifier ses prescriptions
 Il s’agit de prescriptions faites à l’aveugle et donc à l’origine d’un sentiment d’insatisfaction. Je ne connais aucun médecin qui ça.

Quelle analyse proposer pour une prescription intelligente ?

je me suis inspiré de l’excellent article de l’inserm sur le problème de l’imputabilité de l’hépatite C.

On peut formaliser la prescription d’un arrêt de travail comme un problème de diagnostic.

Pour cela on va partir du cas où l’information disponible est suffisante pour justifier l’arrêt de travail. Il s’agit d’un patient :
1° qui présente une pathologie
2° On sait que cette pathologie justifie une durée d’arrêt de travail déterminée. Cette connaissance n’est pas évidente. [4]

Exemple :
Grippe avec fièvre.

Certains estimeront que même avec 40° il arrivent à travailler. Ceci varie en fonction de la volonté de la personne, en fonction de la pathologie (certaines fièvres sont mieux supportées que d’autres), en fonction de la personne (les réactions à la fièvre sont différentes (par exemple certains nourrissons font des convulsions et pas les autres) mais aussi du travail effectué.
La volonté n’est pas un problème médical, il ne faut donc pas en tenir compte.
Il faut par contre préciser la pathologie à l’origine de la fièvre et le travail effectué.
Il faut aussi, ce qui est plus difficile, analyser la réaction de la personne, c’est à dire le terrain. Il faut enfin préciser la décision à prendre selon le niveau de fièvre.

Autre exemple :
Lombalgie permettant la position debout prolongée.

Elle ne justifie probablement pas un arrêt de travail pour une secrétaire. par contre elle peut justifier l’arrêt pour un maçon. La profession fait donc partie du diagnostic.

Autre exemple
cancer sous chimiothérapie

Elle justifie a priori un arrêt de travail quelque soit le patient. Pourtant il existera toujours des cas exceptionnels de personnes n’arrêtant pas le travail. Il s’agit un problème de volonté, mais aussi du type de chimio et de réaction individuelle à la chimio. Si l’on rattache une durée d’arrêt à un diagnostic suffisamment précis, on ne pourra tenir compte de ces cas particuliers, et il faudra donc, si on construit un référentiel, savoir accepter les exceptions.

Autre exemple
Dépression post traumatique

Ici la variabilité des arrêts de travail est importante. Le diagnostic ne suffit pas. Il faudra savoir rechercher et rattacher les conséquences fonctionnelles à la pathologie. Il y a un diagnostic de gravité à faire.

Le référentiel a construire est donc d’abord d’associer à un ensemble de pathologie avec des précisions suffisantes une durée d’arrêt de travail selon la profession du malade. C’est là où l’on s’aperçoit de l’importance de la connaissance du poste de travail or, parfois, seul le médecin du travail le connaît.

Quand un arrêt de travail est-il justifié ?

Sur le plan réglementaire c’est l’article L321-1 qui précise quand est-ce qu’on peut prescrire un arrêt de travail.

5°) L’octroi d’indemnités journalières à l’assuré qui se trouve dans l’incapacité physique constatée par le médecin traitant, selon les règles définies par l’article L. 162-4-1, de continuer ou de reprendre le travail .....?

Il faut rajouter incapacité psychique (voir cet article)

En fait on a deux cas où l’arrêt de travail est justifié :
1° Soit la personne ne peut physiquement faire les efforts physiques et psychiques nécessaires au travail
2° Soit la personne pourrait travailler, mais la guérison pourrait être retardé, ou bien même il y aurait possibilité d’aggravation.

Il faut de plus que l’état soit évolutif, c’est à dire qu’une amélioration suffisante soit envisageable pour sortir de l’état 1° ou de l’état 2°

Maintenant que nous avons savons théoriquement construire un référentiel, il ne reste plus qu’à faire le diagnostic au cas par cas des travailleurs malades en situation d’incapacité physique (ou psychique)

Pour cela il faut utiliser la technique bien connue des tests diagnostiques, avec les problèmes de sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive, valeur prédictive négative.

Exemple : la dépression caractérisée, c’est à dire grave. Considérons qu’elle justifie un arrêt de travail quelque soit le métier. Quel test diagnostic ?

Exemple l’épicondylite. Elle justifie un arrêt si le travail est un facteur de risque. Il est nécessaire de faire cependant un diagnostic de gravité et surtout de persistance de l’épicondylite malgré le repos. Quel test diagnostic ?

Si on prend 100 travailleurs ayant une maladie x et occupant un poste de travail y

On peut avoir différentes cas (chiffres "fantaisistes").

Ne peut travailler Peut travailler Maladie
100 0 AVC, infarctus du myocarde
99 1 cancer sous chimio
99 5 grippe à 40°
30 70 canal carpien opéré

100% des travailleurs qui ont un infarctus ne peuvent travailler.
99% de ceux qui ont une chimio ne peuvent travailler .
Seul 5% des grippés avec fièvre sup 40° continuent de travailler.
Par contre 30% des patients opérés d’un canal carpien ne reprennent pas le travail à deux mois (attention chiffre fantaisiste). Nous sommes dans le cas ou il ne s’agit pas d’un problème de volonté.

On pourra donc directement justifier l’arrêt de travail dans les 3 premiers cas. Par contre le cas du canal carpien nécessite de faire le diagnostic (par exemple) "d’incapacité de travail d’une aide ménagère opérée d’un canal carpien depuis deux mois").

On va utiliser un ou des tests diagnostiques pour se rapprocher du cas grippal.

Si on décidait au hasard (et n’est ce pas ce qui se rapproche le plus de l’intuition ?) on aurait sur un total de 200 personnes, 100 qui travaillent et 100 qui ne travaillent pas, la répartition suivant.

Ne peut travailler Peut travailler
prescription d’un arrêt 50 (a) 50 (b)
Non prescription 50 (c) 50 (d)
Total 100 100

On aurait donc 25 % de prescriptions d’arrêt à raison (= a) . et 25 % de non prescription à raison (=d).
On aurait de plus 25% de non prescription à tort (= c). On parlera d"injustice" dans ce cas, et 25% de prescription d’arrêt à tort (= b). On parlera de gaspillage.

Si on applique ce hasard au cas du canal carpien, on a le tableau suivant pour respectivement 70 patients et 30 patients

Ne peut travailler Peut travailler
prescription d’un arrêt 35 (a) 15 (b)
Non prescription 35 (c) 15 (d)
Total 70 30

Le but de la prescription est d’abord d’éviter les injustices (= minimiser c) et si possible ensuite de diminuer les abus (=b). Mais il ne faut pas que sous prétexte de diminuer les abus on utilise un test qui augments les injustices.

Si on veut éviter l’injustice on cherchera un test qui maximise la Valeur prédictive positive c’est à dire le plus spécifique possible.

Si on veut éviter le gaspillage, on cherchera un test qui maximise la valeur prédictive négative c’est à dire le plus sensible possible.

Démonstration et explication :

Pour étudier un test, on prend des patients malades (100) et non malades (100), et on regarde le résultat du test dans ces deux cas.

On a alors le tableau suivant (on considère que test positif signifie maladie présente) :

Malade Non malade
test positif a b
test négatif c d
Total 100 100

Selon cette analyse formelle, il faut remplacer "maladie" par "incapacité de travailler" (d’une aide ménagère atteinte d’un canal carpien opéré depuis deux mois).

La sensibilité c’est la probabilité que le test soit positif si on est malade, c’est à dire si la travailleuse ne peut absolument pas travailler quelque soit sa bonne volonté. [ = a/(a+c) ]

La spécificité c’est la probabilité que le test soit négatif si on n’est pas malade, c’est à dire que la travailleuse opérée d’un canal carpien il y a deux mois, a pu reprendre son travail. [ = d/(b+d) ]

La valeur prédictive positive (VPP) et négative (VPN) nous intéressent plus directement.

La VPP est la probabilité que la personne soit malade (c’est à dire qu’elle ne puisse réellement pas travailler) si le test est positif.

La VPN est la probabilité que la personne ne soit pas malade (c’est à dire qu’elle soit apte à son poste de travail) si le test est négatif ;

La suite est à vérifier/valider :

Si un test à une spécificité élevée, un résultat positif confirme plus sûrement l’hypothèse diagnostique (= incapacité de travail) et donc diminue le risque d’injustice ( = pas de prescription de repos à tort)

Si un test à une sensibilité élevée, un résultat négatif élimine plus sûrement le diagnostic (= le patient peut travailler) et donc diminue le risque de "gaspillage) (= prescription d’un arrêt de travail à tort.

De quels test peut-on se servir pour pour augmenter la VPN et la VPP ?

En fait tous les arguments peuvent être considérés comme des tests diagnostiques, que ce soit des arguments médicaux (résultats d’examens cliniques ou paracliniques), l’interrogatoire, et même les facteurs favorisants éventuels (social, psychologique, etc....).

Prenons (pour changer) le cas de l’épicondylite de l’ouvrier opéré depuis deux mois. Si on fait une échographie pour déterminer si le travailleur peut on non travailler il s’agit d’un test.

Si on veut utiliser cette échographie pour argumenter une prescription ou non de repos, il faudrait l’étudier en tant que test.

Pour cela il faudrait prendre des travailleurs opérés depuis deux mois, les uns ayant repris le travail et les autres ne pouvant le reprendre malgré toute leur bonne volonté.

Il faudrait ensuite faire un échographie à ces personnes. Pour simplifier, soit l’échographie est normale, soit elle est anormale, et on va dire que si elle est anormale (ou s’il y a telle ou telle anomalie) alors l’arrêt est justifié.

On peut alors remplir le tableau et calculer la sensibilité et la spécificité de l’échographie dans ce cas.

Travailleur ne pouvant retravailler Travailleurs ayant retravaillés
échographie pathologique a b
échographie normale c d
Total 100 100

On peut alors calculer la sensibilité et la spécificité

On pourra en déduire alors la valeur prédictive positive et négative à condition de connaître la prévalence de la "maladie".

Quel est, ici le sens de la prévalence de la maladie ?

Il s’agit de savoir sur l’ensemble des travailleurs opérés d’une épicondylite (et de bonne volonté) quel pourcentage a repris à deux mois .

La notion de bonne volonté souvent rappelée, est peut-être un obstacle à l’obtention des données réelles (nous le reverrons), mais n’est pas un bémol à la rigueur de l’analyse théorique.

En conclusion, si on veut juger sérieusement de la justification médicale d’un arrêt de travail il faudrait considérer la (non) capacité de travail comme un diagnostic à faire. Il faut ensuite pouvoir avoir à sa disposition :
 un ensemble de test à faire, dont on connaît pour chacun la sensibilité et la spécificité.
 la prévalence de l’incapacité de travail pour une maladie donnée et un emploi donné.

On peut utiliser ce modèle d’analyse pour essayer de comprendre le fonctionnement et critiquer certains a priori.

En effet de nombreux arguments non médicaux sont souvent tenus pour ne pas prescrire ou plus souvent critiquer la prescription d’un arrêt. Quel en est leur valeur ?

Certains employeurs, disent, veuillez contrôler mon employé parce qu’il dit avoir une tendinite mais je l’ai vu conduire la voiture.

Quel est la VPP et la VPN du test = "peut conduire la voiture ?"

Il faut d’abord connaître la prévalence comme indiquée ci-dessus

Il faudrait ensuite étudier la sensibilité et la spécificité, c’est à dire faire l’étude suivante : nous avons 100 travailleurs opérés d’une épicondylite qui ont repris à 2 mois et cent travailleurs qui n’ont pas repris à deux mois (malgré leur bonne volonté). Quel est la proportion parmi eux de ceux qui conduisent. A priori, tout le monde conduit. C’est donc un test (et donc un argument) très mauvais.

Les services administratifs sous entendent que plus on touche d’IJ plus on fera durer son arrêt. Là aussi, dans le cas de l’épîcondylite, il faudrait étudier pour les deux groupes la proportion des travailleurs avec complément de salaire. On n’a absolument pas ces chiffres là.
On dit que les arrêts sont plus longs en accident du travail qu’en maladie (en fait ceci est dit globalement mais y a t-il une étude par pathologie ?). Est ce que le test : "s’agit-il d’un accident du travail" est un bon test ? Là aussi il faudrait prendre 100 personnes ayant eu par exemple un accident de trajet avec trauma indirect du cou qui ont repris le travail à deux mois et 100 qui n’ont pas repris à deux mois, et calculer le pourcentage d’AT et de maladie dans les deux groupes. C’est loin d’être fait !!!

En conclusion, pour savoir quand prescrire un arrêt de travail il faut trouver les arguments qui d’abord ont une bonne spécificité (pour éviter l’injustice) et une bonne sensibilité (pour éviter le gaspillage). le travail est immense puisqu’il faut le faire par pathologie, et par emplois. Il n’est pas théoriquement impossible à faire. On peut commencer par les pathologies les plus fréquentes, et puis travailler par classes (les cancers) et types de professions (physique ou intellectuelle). On peut du moins tester sur une pathologie comme modèle. Est-ce que cela vaut le coût ? Je vais essayer d’appliquer cette méthode à l’épicondylite à partir de la version 7.

Limite de ce travail

Il n’est pas certain que cette tentative de formalisation aboutisse, du fait de l’absence de données, mais aussi du fait d’une limite ontologique.

Il existe un écart entre douleur et souffrance : « La souffrance est ce que l’homme fait de sa douleur, elle englobe ses attitudes, c’est à dire sa résignation ou sa résistance à être emporté dans un flux douloureux, ses ressources physiques ou morales pour tenir devant l’épreuve. Elle n’est jamais le simple prolongement d’une altéraion organique, mais une activité de sens pour l’homme qui en souffre. Elle nomme l’élargissement de l’organe ou de la fonction altérés à tote son existence.... Elle est une mesure intime de la douleur ressentie. Elle peut être infime ou tragique, elle n’est jamais mathématiquement liée à une lésion[...]C’est pourquoi, s’agissant de malades ou d’accidentés, de victimes de traumatismes ou de tortures, la technique médicale est insuffisante, même si elle est fondamentale. La qualité de présence auprès du malade, l’accompagenement, l’instauration d’une confiance sans défaut avec l’équipe soignante sont non moins essentiels.... » Pr David Le Breton

Autant on peut espérer évaluer la douleur, autant on ne peut imaginer évaluer la souffrance. On ne peut que croire la personne.

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[1On dit donc beaucoup de choses sans savoir réellement ; on parle alors de bons sens

[2Commentaire d’un médecin dans un forum : « Ah, parce qu’il y a quelque chose de validé dans le domaine des arrêts
de travail ?
Ravi de l’apprendre.
J’ai toujours pensé que c’était du domaine de la subjectivité, du
militantisme ou de la répression.
 »

[3Voir "démonstration" ci-après

[4Pour le Pr Claude Hamonet les médecins « prescrivent trop volontiers des interdits souvent totalement injustifiés », ce qui peut aboutir à des conséquences graves, « c’est à dire à l’exclusion du travail et à le conduire chômage. ». Pour lui, « toute personne qui a eu mal au dos peut, après un traitement correct, avec l’aide d’une bonne ceinture lombaire et d’une éducation gestuelle simple, soulever des objets, même lourd, sans aucun dommage pour son dos ». Courrier du Quotidien du médecin