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Importante somatisation suite accident bénin : quelle imputabilité théorique ? [version 0.00 du 08/07/2008]

mardi 8 juillet 2008, par omedoc

Attention cet article concerne la notion d’imputabilité telle qu’elle devrait être dans la loi, et non telle qu’elle est réellement. Voir ici pour une présentation de la notion d’imputabilité au sens légal actuel.

Il existe des cas catastrophiques ou, par exemple, suite à un accident (de travail) relativement bénin (chute d’une hauteur mais sans fracture associée) la personne reste alitée des années car tout mouvement déclenche une douleur intolérable. Elle perd toute son autonomie (nécessité d’une tierce personne), De même suite à une hernie discale opérée (souvent à tort) avec comme séquelle objective une paralysie partielle du SPE, la personne bénéficiera d’une IPP de 80% avec Majoration Tierce Personne.

De façon moins dramatique, mais plus fréquente et posant aussi d’importants problèmes, nous avons des personnes qui typiquement chutent de leur hauteur (sur un sol mouillé et en arrière). Le Certificat Médical Initial précise une atteinte multiple : douleur épaule + cou + fesse + genou. Il est souvent difficile de comprendre comment la personne peut, dans ce cas, se blesser à tout ces endroits. Les plaintes multiples peuvent aussi apparaître par la suite. De façon caractéristique elles peuvent se fixer sur tout un hémicorps : douleur faciale + épaule + hanche + coude avec même une insensibilité et surtout une surdité (ou acouphènes) et une baisse de la vision du même côté.

Problème :

Ainsi lorsque des conséquences cliniques importantes suivent un accident bénin l’assuré (il faudrait éviter le terme de « victime » si l’on veut éviter la « victimisation ») ne comprend pas pourquoi le médecin conseil hésite sur la prise en charge en AT, alors qu’avant il allait bien, et que depuis l’accident tout va mal.

Pour analyser ce problème il est nécessaire de comprendre le concept de causalité (cette notion se retrouve non seulement dans le cadre de l’imputabilité des lésions initiales mais aussi dans le cadre de la rechute ou des lésions nouvelles survenant à distance). Or ce concept qui est essentiellement étudié par les philosophes (analytiques en particulier) leur pose des difficultés.

"Il n’est guère risqué d’affirmer que la causalité est l’un des outils conceptuels les plus fondamentaux dont nous disposons pour organiser notre appréhension du monde extérieur et de nous même." (Max Kistler : causalité et lois de la nature)
Or "le désaccord des philosophes à l’égard de l’interprétation correcte de la causalité est aussi grand que leur accord sur son importance" (idem).
Les mêmes désaccords ne se retrouvent-ils pas chez les médecins conseils

L’hypothèse

Je vais argumenter l’affirmation suivante : Logiquement et rationnellement parlant les décompensations d’un état antérieur, même muet, ne devraient pas être considérées comme imputables. Malheureusement ou heureusement (ce serait à étudier), la loi estime le contraire. Ceci explique le malaise du médecin conseil (voir mon chapitre sur le sujet dans mon livre sur les IJ).

Pour répondre à la question ci-dessus je vais utiliser un modèle d’accident et retenir une définition du concept de causalité.

Le modèle
Un vase (de Soisson) a été posé trop près du bord d’une table. Quelqu’un lui donne un coup. Il tombe de la table et se casse. On a trois facteurs pour expliquer la casse : le fait qu’il ait été renversé, le fait qu’il ait été posé trop près du bord, et le fait qu’il soit en porcelaine. Il y a donc le terrain, qui peut être plus ou moins fragile. Un travailleur qui a une ostéoporose, pourra se faire une fracture lors d’un effort banal alors qu’il n’a jamais souffert. C’est le facteur favorisant. Il y a ensuite le facteur précipitant, c’est à dire le choc, qui peut être plus ou moins fort ou normal. On peut taper sur le vase avec un marteau ou simplement lui donner une simple chiquenaude. Il y a par ailleurs l’existence ou non d’une prévention qui parfois engage aussi la responsabilité de l’employeur. On a pu, par précaution, entourer le vase de coton ou l’éloigner du bord.

Lorsqu’un un accident du travail survient, entre le traumatisme initial et la lésion examinée existe aussi souvent une succession d’événements dans le temps. On doit alors bien distinguer en plus de l’énergie du traumatisme, de la fragilité de la personne, du facteur préventif, des facteurs indirects associés, amplificateurs (ou freinateurs) ou multiplicateurs, indépendants du traumatisme initial et de la personne. Il s’agit en particulier de la mauvaise prise en charge médicale, de la réaction de l’entourage au traumatisme, des conséquences médico-légales et sociales.... Pour être systématique au niveau de mon modèle de vase, cela correspondrait au fait de le casser définitivement dans un second temps, alors qu’il était simplement félé ou intact au départ, en le réparant ou en le reposant sur la table.

Définition de la causalité : Au sens physique du terme, on peut réduire la causalité entre un événement Ec et effet Ee à un échange d’une certaine quantité d’énergie.

1° argument : le bon sens

Il évidemment choquant, pour l’esprit, de prendre en accident du travail une conversion hystérique grave suite à un accident bénin. Pourtant légalement il y a une présomption d’imputabilité sur tout ce qui survient dans les suites immédiates, sauf à démontrer que l’accident n’a eu aucune part. Sont donc considérées comme imputables les conséquences catastrophiques d’une chiquenaude. On ne peut renverser la présomption d’imputabilité que dans quelques cas ou on peut distinguer de façon claire l’état antérieur des suites. Exemple la crise épileptique de la maladie épileptique. Le terrain allergique de la survenue d’une allergie.

Le bon sens a plus de difficulté à répondre lorsqu’un lumbago survient sur une colonne vertébrale dégénérative.

De même, il est choquant de prendre au titre accident du travail les complications thérapeutiques gravissimes et exceptionnelles.

Il semble anormal aussi de prendre en accident du travail l’alcoolique ivre qui se blesse ou chute de sa hauteur à son travail. C’est un cas très fréquent pouvant expliquer les accidents à répétition.

2° argument : un exemple

Partons d’un "accident" réel qui m’est arrivé. Je fais un effort important important le dimanche, ce qui déclenche un lumbago qui cède en 48 heures. Le dimanche suivant, simplement en me relevant de la position penchée en avant - sans porter du poids - je suis « victime » d’une sciatique typique S1 avec boiterie qui a duré 2 mois. A noter que dans l’intervalle j’avais continué mes cours de musculation habituels. Évidemment c’est bien le mouvement de se pencher en avant qui a été cause (au sens physique ci-dessus) de la compression neurologique. Pourtant le prendre en accident du travail, parceque ça s’est passé au travail (ce n’était pas mon cas) ne semble pas logique. Pourquoi ? Parcequ’il s’agit d’un mouvement qui n’est pas spécifique à mon travail, et même à un travail quel qu’il soit. Ma colonne vertébrale avait été fragilisée, la hernie avait même probablement été formée, et un rien (s’agit-il même d’un traumatisme ?) a fait bouger la hernie et a déclenché une sciatique sévère. J’estime donc qu’il n’est pas logique et rationnel d’accepter en accident du travail les suites (en général importantes) d’un traumatismes bénins décompensant un terrain instable.

3° argument : la logique

Un contre argument est de dire : s’il n’y avait pas eu le choc accidentel le vase, même fragile n’aurait pas été cassé.

Une première réponse est de dire que ceci est faux car à un moment donné ou un autre, l’occasion se serait normalement présenté dans la vie quotidienne. Certaines fragilités évoluent même vers une fracture spontanée. Il y a même le cas extrême ou l’accident est l’occasion de la découverte d’un cancer évolutif : cas des traumatismes testiculaires du sportif. J’ai eu le cas d’un rejet de rechute pour lombalgie (en fait métastase néo prostatique). Le patient a contesté mais le patient est décédé du cancer avant la convocation !

Une deuxième réponse est de dire que c’est le hasard qui a fait que l’effort minime déclenchant est survenu pendant le travail, et non à domicile. Il est à noter qu’à l’inverse il est injuste qu’un patient fragilisé à cause de son travail et décompensant à domicile ne soit pas considéré comme ayant eu un accident du travail.

Par ailleurs il est logique d’estimer que l’événement qui provoque le traumatisme doit être spécifique du travail du fait de son intensité (impact violent, effort important, chute d’une hauteur, stress important) et de son origine (chuter de sa hauteur par maladresse n’est pas un accident du travail, chuter parce que le sol est mouillé est un accident du travail). De même en cas de crise d’épilepsie au travail sans facteur déclenchant, La blessure due à la chute ne devrait pas être pris en accident du travail, sauf si on chute, par exemple d’une échelle. Tout ceci reste bien sûr à préciser. l’enquête administrative devrait donc déterminer, si l’événement traumatisant a bien existé, a bien eu lieu au travail, est bien spécifique du travail, et préciser sa violence.

Je le répète que ce n’est pas ce qui est actuellement prévu par la législation accident du travail.
D’où certaines aberrations médico-légales...

la législation fait aussi la différence entre un état antérieur muet ou ayant déjà parlé, or si le vase est fragile, il est fragile. La qualité d’’être fragile est indépendante du fait que celle-ci soit on non connue ou reconnue antérieurement. Il s’agit d’un argument authentifiant cette fragilité. Mais cette reconnaissance de la fragilité vient surtout du fait qu’un accident bénin (chute sur la table et non sur le sol) a cassé le vase. N’est ce pas la définition de la fragilité ? "qui se brise, se casse facilement" selon le petit Robert.

En conclusion

De façon générale les conséquence imputables devraient être en rapport avec la violence initiale de l’accident.

La conversion hystérique après un accident relativement bénin, ne devrait donc pas, rationnellement, être pris en charge au titre AT, alors que légalement il y a bien imputabilité. Cette irrationalité, qui est sensé soulager la souffrance de la victime, explique le malaise des médecins conseils qui doivent donner un avis illogique pour respecter la loi. Ceci va contre le bon sens et l’esprit scientifique du médecin.


Ce modèle de causalité s’applique aussi aux pathologies associées dans l’exoTM, à l’analyse de contenu, à la gestion des risques, à l’argumentation...