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Les Faits [version 0.02 du 11/02/2009][version 0.00 du 21/12/2008]

lundi 5 novembre 2007, par omedoc

D’un médecin à propos d’une revue médicale :

J’avoue que j’ai du mal à suivre la logique de LRP dans ce domaine à
moins de surévaluer l’intérêt par rapport aux effets secondaires.
C’est d’ailleurs le sentiment que j’ai : quand un effet est démontré ,
même parfois assez faible, LRP conclut à l’intérêt ou au "pari
raisonnable".

Il y a les faits (bruts ou construits), l’interprétation des faits et la
décision qui en découle

Un fait c’est en gros une affirmation sourcée.

Pour le passage des faits à l’interprétation des faits voir plusieurs
articles de grange blanche, en particulier son article sur magellan

Où l’on voit bien la différence entre les discours neutres et les discours
remplis d’implicite, puisque souvent l’interprétation refuse de
s’afficher comme une interprétation et donc verse dans l’implicite...

Il y a ensuite la "logique" qui permet de passer de l’interprétation à
la décision...

Et c’est mon sentiment que ce manque de clarté est généralisé....

Cette logique repose en effet parfois sur des "paris" plus ou moins
"raisonnables", donc parfois irrationnels...

Et le plus souvent le raisonnement n’est pas ascendant (des faits à la décision) mais descendant, la décision étant déjà prise plus ou moins consciemment. Il s’agit alors de se justifier par une interprétation ad hoc s’appuyant sur une sélection des faits (biais de confirmation).

Un symptôme est le refus de l’examen critique : recherche exhaustive des faits, critique de son interprétation et de ses choix..

LES FAITS

Cet article fait suite à la lecture du journal l’Express : " FRAUDES SOCIALES 19 milliards d’euros détournés". De nombreux faits sont accumulés en faveur de cette affirmation. Cela pose le problème de la valeur des faits.

Les faits peuvent être bruts (Napoléon est décédé à Sainte-Hélène !) - ou construits : pourcentages, moyennes...

Les faits peuvent venir à l’appuie d’une affirmation (ou hypothèse), ou bien énoncés sans objectif précisé (les faits divers des journaux)

« Le mot Statistique vient de l’allemand Statistik, qui désigne des données utiles à l’´Etat,
der Staat (dix-huitème siècle). Ce premier sens renvoie donc à ce que nous appelons aujourd’hui,
au pluriel, “des statistiques”, c’est-à-dire des données chiffrées, généralement de
grande ampleur, avec un accent sur le fait que ces données ne sont pas à transmettre brutes
à l’utilisateur (“le prince” dans le sens initial) mais doivent être triées, clarifiées et organisées
en fonction d’usages bien précis. »
 [1]

“a. Le statisticien n’invente pas son domaine d’investigation, mais se trouve confronté à des données, qui peuvent être de plusieurs natures :
 données brutes telles que des enregistrements de qualité de pièces produites, de phénomènes météorologiques, d’observations démographiques, de cours de bourse ...
 données issues de protocoles expérimentaux, tels que des expériences biologiques, agronomiques...
Dans tous les cas, de manière plus ou moins explicite selon la connaissance des conditions de recueil, et même si ces données sont très vastes, on peut considérer qu’il ne s’agit que d’une connaissance imparfaite d’une réalité sous-jacente (en ceci la statistique ne diffère pas d’autres activités scientifiques expérimentales).
b. Le statisticien n’invente pas sa problématique, mais il a un interlocuteur,
qui lui exprime, de manière plus ou moins confuse, des attentes face à ces données :”
 [2]

On a donc :
 des données brutes
 des données misent en forme : triées, clarifiées, organisées.
 des données construites.
 l’utilisation a priori de ces données, les attentes face à ces données.

les vérifier

Tout fait invoqué sans la source doit être considéré comme suspect [3]

Même si le fait est référencé, il doit pouvoir être validé par nous, par quelqu’un d’autre en qui nous avons confiance, ou par d’autres études. Exemple, voir mon analyse d’un article de journal
 [4]
Un fait non référencé ou non validable est suspect d’une possible manipulation.

Savoir penser :
 Trier la documentation
 Décortiquer les arguments
 Séparer les faits établis et les hypothèses
 Exposer clairement et objectivement les données
 Tout en ayant en permanence à l’esprit l’intérêt des malades.

Les comprendre (en profondeur)

Malgré cela un fait brut est difficilement utilisable, il faut avoir accès aux différentes interprétations possibles. Exemple, voir l’intéressante discussion sur le droit au chômage des députés.

La connaissance scientifique n’est pas un simple reflet des faits bruts : elle est une production de la raison humaine, en interaction avec les faits, dont il faut toujours évaluer le prix.
Hors série la recherche sur l’alzheimer. Natalie Rigaux


 ; et que les quelques faits connus... ne peuvent se comprendre que si on les met en perspective avec les horizons où ils prennent sens ;... Il ne suffit pas de dire qu’il est néerlandais, juif d’origine portugaise ou cartésien ; il faut encore expliquer ce que c’est d’être néerlandais, juif portugais ou cartésien au XVII e siècle -quels héritages et quelles contradictions masquent ces adjectifs en apparence si simples.

Spinoza QSJ p 12

Le choix et l’interprétation des faits dépendent largement du système de valeurs qui les sous-tend.

L’ignorance des faits objectifs au profit d’opinions même douteuses est aussi une cause redoutable d’erreurs.
Dans une ville 85% des taxis sont bleus et 15% sont verts. Un accident survient et un témoin se souvient qu’il implique un taxi vert. Le calcul statistique montre qu’en réalité il y a plus de chance que le taxi impliqué fût bleu. malgré ces données, les sujets répondent faussement que le taxi était sans doute vert. Ils restent influencés par le témoin alors que son témoignage ne valait pas grand chose. De façon générale, l’usage des statistiques pourrait éviter bien des erreurs de jugement, mais l’esprit humain n’aime pas s’y fier ; il préfère s’engager dans des estimations personnelles.

Berthoz 1 p24

En mathématique, ce n’est pas parce qu’on a compris la démonstration d’un théorème que l’on sait s’en servir. Il faut une pratique de son utilisation pour comprendre sa profondeur, les tenants et aboutissants...

Chiffre bruts (Réalité) => faits déclarés (ou découverts) => faits constatés (= faits transmis au parquet) = > faits comptabilisés (certains faits constatés : exclu = délits routiers, infractions douanières, droit du travail...)

La vérité n’a pas qu’une instance. Elle en a de multiples, et la vérité judiciaire n’est que l’une d’entre elles. Derrière chaque action humaine il y a - du moins j’en formule l’hypothèse et c’est une hypothèse qui non seulement stimule mon travail, mais le justifie-, il y a une autre instance, une instance à rechercher, et je considère que le but de la parole, c’est d’aller le plus loin possible pour découvrir, aider à découvrir cette parcelle de vérité souvent enfouie, ignorée de la vérité judiciaire. Alors l’avocat peut aller contre la vérité des faits mais exprimer une autre partie de la vérité aussi essentielle à mes yeux, peut-être plus essentielle encore puisqu’elle rejoindra une notion universelle d’humanité.
convaincre p 366


Le public est ainsi invoqué, constamment, comme un dieu caché dont les désirs sont des ordres et les goûts tout-puissants. "Gardez bien ça en tête : que veut votre lecteur ? Des faits et rien que des faits." Et jamais ce triste sire, cet homme moyen, sans aspérité, incarnation du marché, équivalent pour débutants des ménagères de moins de 50 ans, n’attend, bien sûr, de l’audace, de l’originalité, de l’analyse, des enquêtes..."On n’encourage pas à la prise de risque. On tire vers le bas, soi disant le public." Ainsi nous forme-t-on pour un journalisme sans souffle et sans révolte, sans inspiration, sans idées, sans style, conformiste et propret, qui ratisse large et ne choque personne, au nom d’un lecteur très moyen qui force au consensus.

Rufin p 84

Le vecteur d’une logique d’Audimat : les informations aux conséquences diplomatiques, sociales, artistiques passent à la trappe. Priment désormais l’intérêt immédiat du public, qui vaut au sujet d’être rebaptisé d’actualité. Malgré sa futilité....Les faits omnibus gagnent du terrain. Des infos qui ne divisent pas et caressent donc l’audience dans le sens du poil.
Il faut.. on doit... on n’a pas le choix...
Cette démission du jugement personnel se fait, surtout, à la faveur d’une consécration de l’actualité...Cette involontaire circulation circulaire de l’information se renforce d’une imitation délibérée de la concurrence...
On croit suivre l’actualité on suit en fait le troupeau."

Rufin p61-62”


Savoir les utiliser

Le choix et l’interprétation des faits dépendent largement du système de valeurs qui les sous-tend.


Un paradigme, au sens où le conçoit Thomas Kuhn est un consensus dans la communauté humaine scientifique considérée, sur la manière de voir le monde et de faire de la science. Il définit les faits auxquels on acceptera de se confronter, le type de questions méritant d’être abordées et la méthodologie à utiliser.
Un paradigme est animé par une vision du monde et induit des conséquences.

Hors série la recherche sur l’alzheimer. Natalie Rigaux

En réfléchissant pour prendre une décision, nous devons porter notre attention sur tel ou tel aspect de la situation et hiérarchiser les informations. C’est la "supervision attentionnelle". Des gens sont injustement en prison, parfois parce que l’attention des juges ou des jurés s’est portée par erreur sur certains faits.
Berthoz 1 p 331

Que la force d’attraction soit indépendante de la nature des objets en interaction, que les calculs soient identiques quel que soit l’ordre de grandeur des masses en cause, prouve que l’onaccède par cette formule à une caractéristique essentielle du cosmos. La victoire de l’intelligence sur l’opacité et la diversité des faits est alors magnifique.
Jacquard 46

La psychanalyse ne peut indéfiniment résister :
 à l’épreuve des faits accumulés et prouvés
 à l’épreuve du temps

La science, c’est à dire le savoir vrai, commence par l’observation des faits, de tous les faits. En écarter un seul est une attitude antiscientifique. A partir de cette observation complète, minutieuse, curieuse, est bâtie une théorie qui tente d’expliquer les faits. La perpétuelle confrontation de la théorie et de la pratique met en évidence les imperfections de la théorie et amène son changement si l’intelligence des hommes le permet.

Des Faits à la décision

Il y a au départ les faits plus ou moins bruts

Il y a ensuite l’interprétation qu’on en donne

Il y a enfin le raisonnement sur ces faits interprétés

Exemple 1 :

Le fait (construit) : “Une femme sur 8 aura un cancer du sein”.

Les interprétations possible : C’est énorme, ça me fait peur, c’est injuste, ça ne me dit rien, et alors j’ai d’autres soucis...

Le raisonnement : il faut que je me fasse dépister, il faut bien mourir un jour, je passerai à travers, n’y pensons pas....

Exemple 2 :

Le fait (construit et contestable) : “les femmes qui ne se font pas dépister ont une chance sur 18 de mourir du cancer du sein et celles qui se font dépister ont une chance sur 19 de mourir du cancer du sein et une chance sur 27 d’être traitées pour rien. [5]

Les interprétations possibles : si c’est vrai je préfère ne pas me faire dépister, oui d’accord mais si j’ai le cancer c’est grave, je ne prend aucun risque si minime soit-il, oui mais si j’ai le cancer..

Exemple 3 :

Le fait : En jouant à une loterie, vous avez la possibilité de choisir entre A gagner un million d’euros sûrement) ou B (gagner vingt millions d’euros avec une chance sur dix).

Les interprétations :
 Je suis rationnel, et comparant les espérances mathématiques [6] la deuxième solution est statistiquement la meilleure.
 je préfère un tien que deux tu l’auras, donc je choisis de gagner un million

Le "fait" : En jouant à une loterie, vous avez la possibilité de choisir entre A gagner un un euro sûrement) ou B (gagner vingt euros avec une chance sur dix).

Là, probablement la majorité tentera B

A propose de l’interprétation des faits :
Rien n’est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l’on en pense
Shakespeare

Pour prendre un décision on devrait partir des faits et ensuite raisonner via l’interprétation qu’on en donne. Le plus souvent on fait l’inverse : on part de ses décisions émotionnelles ou passionnelles et ensuite on les justifie par un raisonnement ad hoc sur des faits "bien" choisis.

Brouillon

Données brutes : taille d’un individu, poids, TA
Plusieurs données brutes sont difficiles à interpréter => données construites : moyenne, représentation gratuite
limite : erreur de mesure ; interprétation => décision.

Derrière chaque « fait »[...] on trouve un jugement : celui qui consiste à dire que ce fait-là est important et que les autres seront laissés de côté. [7]

Discutons sur les faits et non sur l’interprétation des faits. Pour cela sachons distinguer les faits de leur interprétation. L’interprétation nous appartient et ne doit pas être déléguée sauf à faire confiance au rapporteur des faits (en tant qu’expert, autorité, homme de confiance), or tout rapporteur est interpréteur..

« L’objectivité se dit de deux façons différentes : la première signale une vertu intérieure, proche de la justice, du désintéressement, de l’indifférence, de l’honnêteté ; la seconde renvoie à la présence des objets. "Objectif" ne désigne plus une attitude mentale, mais l’influence sur le discours de ce qui "objecte" en faisant obstacle, en contredisant, en interrompant ce que les humains prétendent dire à son propos. l’objet devient alors une "affaire" au sens quasi juridique. » [8]


[2Idem

[3Voir article de l’Express du 11 octobre sur les FRAUDES SOCIALES ...19 milliards d’euros détournés et l’affirmation " Plus de 30% des allocations aux adultes handicapés AAH ne seraient médicalement pas justifiées". Aucune source citée.

[4le mari qui rentre tard d’une soirée alcoolisée sonne pour se faire ouvrir en vain à la mauvaise porte. sa femme l’attend sans succès.

  • Sa femme en colère : trois heures !!! Ah bien, non, "ça", C’est trop !... Tu seras cocu, mon ami.
  • Monsieur, éploré parce qu’il imagine sa femme partie manger chez sa mère et égorgée au retour : Quand il fera jour, j’irai à la morgue. le cochon de coco. Courteline.

[5Voir mon article

[6Qui vaut un million dans le premier cas et deux millions dans le second

[7Howard Zinn. Manière de voir 137.

[8Bruno Latour. La recherche sept 99