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Injures, polémiques, disputes...

mercredi 18 avril 2012, par omedoc

Les discussions sur internet donnent lieu à polémique et donc à des attaques personnelles et à des injures.
Lorsqu’on pointe l’injure la personne se défend d’avoir injurié.

Voici un extrait du livre "l’énonciation" de Kerbrat-Orecchioni p 89 : [1]

... Les termes péjoratifs sont tous disposés à fonctionner comme des injures, et que les injures relèvent de la pragmatique du langage : elles visent à mettre le récepteur, selon le mécanisme du Stimulus -> Réponse, dans une situation telle qu’il est contraint de réagir à l’agression verbale (d’en “tirer la conclusion normale”) - par la « rogne », ou par la fuite.
Nous dirons donc que le trait axiologique est une propriété sémantique de certaines unités lexicales, qui leur permet dans certaines circonstances de fonctionner pragmatiquement comme des injures, le marqueur illocutoire de l’injure étant la résultante complexe d’un ensemble de fait de nature :

  • Lexicale (les axiologiques négatifs constituant un réservoir virtuel où se puisent les termes d’injure)
  • syntaxique ( dans l’injure proprement dite, le terme péjoratif est employé en fonction vocative, et souvent dans le contexte , expression à laquelle le récepteur répond parfois, renvoyant à son partenaire discursif la balle injurieuse, par « x toi-même ! ») ;
  • intonative : on peut toujours, remarque Delphine Perret, interpréter comme hypocoristique un terme habituellement injurieux, si l’intonation sollicite cette interprétation antiphrastique et inversement, l’intonation peut rendre injurieux un terme habituellement neutre (c’est à dire que les trois facteurs ici signalés comme marqueurs de l’injure ne sont pas tous nécessairement coprésents, la force de l’un pouvant venir compenser l’absence de l’autre).

L’injure constitue donc un emploi discursif particulier des axiologiques négatifs. Mais notons que l’on passe insensiblement de l’énoncé constatif à l’énoncé injurieux.
(1) « ce que tu dis là est contraire à la vérité » : constat ;
(2) « tu mens en disant cela » : dès lors qu’il comporte l’idée d’une dissimulation délibérée, l’énoncé s’axiologise, et le constat vire à l’accusation ;
(3) « tu es un menteur » : il ne s’agit plus ici d’une caractérisation ponctuelle, mais d’une étiquette injurieuse qui prétend énoncer une propriété intrinsèque du dénoté ; corrélativement la force illocutoire de l’énoncé s’accentue ;
(4) « espèce de sale menteur ! » : injure proprement dite.

Le mensonge est volontaire, sinon il s’agit d’une erreur !

Comme le fait Sylvie Fainzang dans son livre "la relation médecins-malades : information et mensonge", Il faut distinguer la vérité logique (= "la vérité pour autant que nous la connaissions, autrement dit celle qui procède de la connaissance, à propos de laquelle Dausset écrivait :" les vérités d’un jour peuvent être renversées le lendemain"), et "La vérité morale" qui est "la vérité correspondant à ce que nous croyons être vrai". Le menteur donne donc pour vraie une information qu’il ne croit pas vraie. "La caractéristique du mensonge, dit Simmel, n’est pas que le dupé ait une fausse idée de la réalité - car cela est un aspect que le mensonge partage avec l’erreur - , mais c’est que le dupé soit trompé sur l’opinion du menteur."

Traiter quelqu’un de menteur est bien une injure ! Seriez vous content si on vous traitait de menteur ! Ce n’est pas la même chose de dire de quelqu’un qu’il ment, plutôt de dire qu’il s’est trompé. Mentir est une faute morale. L’erreur reste humaine.

Analysons l’injure : "gros naïf".

Naïf est un terme dévalorisant. "Gros" rajoute dans le péjoratif puisque l’injure aurait pu se contenter du terme naïf : "vous êtes naïf". A la rigueur : "vous êtes un grand naïf ". "Vous êtes un gros naïf" fait écho à des injures telles que : "quel gros con". A noter que petit est plus péjoratif que grand et aussi péjoratif que gros.

"Petit", "grand", "gros", sont des marqueurs d’injures et/ou de polémique.

Le discours musclé

"Nous avons conservé aussi le ton parfois vif et polémique, voire iconoclaste, qui avait pour but de susciter des réactions et des discussions : elles n’ont pas manqué." [2]

" Je profitai si bien des instructions qu’on me donna, qu’au bout de cinq à six années, j’entendis un peu les auteurs grecs et assez bien les poètes latins. Je m’appliquai aussi à la logique, qui m’apprit à raisonner beaucoup. j’aimais tant la dispute, que j’arrêtais les passants, connus ou inconnus, pour leur proposer des arguments. Je m’adressais quelquefois à des figures hibernoises [3]

Un discours musclé, c’est un discours qui fait réagir (illocutoire dirait les linguistes ?). Il faut savoir faire réagir sans être injurieux. Un discours injurieux est un discours qui oblige l’autre à réagir (par une autre injure par exemple : menteur vous-même ! bataille en duel...) et qui porte sur la morale ou sur les qualités personnelles.

Voyez le débat particulièrement musclé sur la forme entre Mélanchon et Touati... Pourquoi n’a-t-il jamais dégénéré et est-il resté passionnant ?

L’élément le plus significatif est que Mélanchon a toujours cherché à ne pas caricaturer et/ou déformer les propos de l’adversaire... Il a au contraire été à l’écoute de l’autre et a multiplié les questions pour lui faire préciser ses propos et le mettre en contradiction ou en défaut. Il a au contraire de ce qu’on fait habituellement essayé répondu aux arguments les plus forts de l’adversaire.

l’adversaire toxique

Caricaturer les propos de l’adversaire, ne pas répondre à ses arguments les plus forts est la meilleure technique pour pourrir une discussion. On ne répondre que sur des détails, on fait des attaques personnelles, on prête à l’autre des intentions.

Brouillon

"L’insulte est une forme sauvage du pouvoir symbolique." Pierre Bourdieu. Science de la science et réflexivité.


[1Je vous le livre brut de décoffrage

[2Préface au livre de Claude Tresmontant "Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de dieu"

[3Les hibernois (= irlandais) avaient une grande réputation de disputeurs) qui ne demandaient pas mieux, et il fallait alors nous voir disputer ! Quels gestes ! quelles grimaces ! quelles contorsions ! Nos yeux étaient pleins de fureurs et nos bouches écumantes. On nous devait plutôt prendre pour des possédas que pour des philosophes."[[Gil Blas de Santillane. Lesage