Accueil > Articles non mis à jour > Ressources épistémologiques zététiques > Autodéfense intellectuelle. > Problèmes philosophiques > La plainte [version 0.20 du 02/11/2009][version 0.05 du 20/03/2009]

La plainte [version 0.20 du 02/11/2009][version 0.05 du 20/03/2009]

lundi 2 novembre 2009, par omedoc

Se plaindre n’est pas rationnel. On peut dire qu’on souffre, sans se plaindre.
La plainte en rajoute dans l’émotion, il existe une certaine tonalité dans la voix. Elle est en général répétitive et occupe la plus grande partie de la vie de l’esprit.

D’un point de vue formel on se plaint qu’aucun traitement ne soit efficace, que les médecins n’ont pas fait tout de suite le diagnostic, qu’ils donnent des diagnostics contradictoires, que ça fait longtemps qu’on souffre, que la douleur est très intense....

Ceci signifie que la plainte à un sens caché. La personne qui se plaint ne se plaint pas en général de ce dont elle se plaint mais d’autre chose, du contexte. Par exemple, qui se plaint de douleur, souffre en fait de sa solitude, ou de l’échec de sa vie, ou de ne pas être aimé...

Entendre quelqu’un se plaindre est très énervant, et cela pour de bonnes et mauvaises raisons. La bonne raison est qu’il s’agit souvent d’une manipulation : la personne cherche par l’émotion à vous faire faire quelque chose. La mauvaise raison c’est qu’on n’aime pas côtoyer la souffrance. Il en est de même de la misère. Nous sommes culpabilisés car une de nos valeurs morales est d’aider celui qui souffre.

Dans la plainte, c’est d’autant plus énervant qu’il y a une résistance forte au changement. La personne qui se plaint fera tout pour ne pas voir, et accepter la réalité ou la vérité, puisque au départ ça en est la source.

La personne qui se plaint sait inconsciemment que son entourage risque d’être sceptique, ou pourrait l’être, en tout cas par moment. Elle même pourrait avoir des éclairs de lucidité. Elle va donc tout faire pour démontrer qu’elle a des raisons de se plaindre. D’où une médicalisation d’un problème existentiel. Ceci ne peut qu’énerver encore plus.

En général ceci débouche sur une désintégration du couple, une perte des amis. Parfois, au contraire, pour différentes raisons, le conjoint va favoriser ce comportement. Le médecin peut aussi rentrer dans le cercle infernal. La situation est alors complètement figée.

Ceci explique l’inefficacité du traitement des symptômes : tout les antalgiques seront inefficaces.

C’est pourquoi, traiter la plainte c’est traiter autre chose que la plainte elle même. Il faut changer le contexte, l’environnement... C’est rarement possible. Encore plus difficile est de faire accepter cette réalité qu’on ne peut changer.

Au fond les gens font un très mauvais calcul en s’enfermant dans la plainte. C’est pourquoi, penser et réfléchir sur sa vie est important pour éviter de s’enfermer dans le malheur.

ILLUSTRATION

Trouvé dans des forums :

"Mes proches ne contestent pas que je souffre. Enfin, les plus proches des proches ! Mais, étant donné que le froid, la saison, la vitesse du vent, les je-ne-sais-quoi-du-quotidien font que ces derniers jours ont vu un pic de douleurs plus importantes dans mon corps (et dans mon coeur également !), j’ai droit aux questions/réponses suivantes :
"Mais il faut voir le docteur !" "Il existe bien un traitement pour calmer la douleur ?!?!!" (Moi : oui, un traitement, le Lyrica ...) Mais il doit bien exister autre chose ?!! (Moi : le Dr Untel me dit que non ...) Ben, dans ce cas il faut voir un spécialiste ! (Moi : c’est fait, j’ai vu le Dr Trucmuch, il est rumatho, et pour lui, c’est une fibromyalgie, et lui aussi prescrit du Lyrica !) Mais c’est pas possible de rester comme ça ! (Moi : Ben oui, mais je n’y suis pour rien ! Je suis de nouveau réveillée la nuit par la douleur, et quand je suis réveillée de la sorte, si je suis sur le dos j’ai très mal, et si je me mets sur le côté c’est terrible !!!!!!!! )

Il en ressort que de souffrir fait souffrir autrui, car il faut faire taire cette maladie qu’est la fibromyalgie, elle fait trop de bruit (même si je ne parle pas !), ça commence à énerver les autres parce que nous n’y sommes pour rien, et que rien de miraculeux comme traitement médical n’existe !

J’en ai marre ! Je comprends malgré tout les questions/réponses de mes proches. J’aurais peut-être le même raisonnement idiot ... Je ne supporterais peut-être pas de voir souffrir quelqu’un de ma famille qui me dirait que son médecin ne peut faire autre chose pour "guérir" la fibromyalgie ?!
Je comprends certes, mais j’en ai plein le dos ... physiquement et moralement !"

Réponse

"Non tu as raison de te plaindre, c’est un droit lorsque l’on souffre le martyre......"

NE VOUS APITOYEZ PAS SUR VOUS-MÊME

 [1]

Par A. J. Cronin

L’été dernier, dans l’île de Jersey, en me promenant sur une falaise qui domine le port, j’ai découvert un vieux banc moussu. C’est là que, un siècle plus tôt, malade, exilé, persécuté par sa France bien-aimée, Victor Hugo montait chaque soir contempler le coucher du soleil et se livrer à de profondes méditations à la fin desquelles, se levant, il choisissait un caillou plus ou moins gros et, du haut de ce rocher, le jetait avec satisfaction dans l’eau.
  Ce manège n’avait pas échappé au groupe d’enfants qui jouaient dans le voisinage et, un soir, une petite fille plus hardie que ses compagnons s’avança vers lui.
  – Monsieur Hugo, pourquoi venez-vous ici lancer des cailloux ? Lui demanda-t-elle.
Le grand écrivain demeura un moment silencieux ; puis il sourit gravement.
  – Ce ne sont point des cailloux que je jette à la mer, mon enfant, ce sont mes lamentations.
  Cette action symbolique comporte une leçon valable pour le monde d’aujourd’hui. Combien d’entre nous, et non des plus déshérités, ont acquis une aptitude excessive à s’attendrir sur eux-mêmes. Nous sommes toujours à l’affût de griefs personnels contre le fonctionnement de notre système social, politique et économique. Les petits faits comme les grands – depuis les quelques minutes de retard du train matinal jusqu’à la menace de destruction atomique totale – provoquent également nos jérémiades. Nous nous appesantissons sur les difficultés et les dangers, les tensions et les complexités de la vie moderne.
  Sénèque a souligné combien cette façon d’envisager les choses est pernicieuse.
  " A s’apitoyer sur lui-même, déclare-t-il, l’homme ne gagne rien, il tend plutôt à se dégrader, à s’amollir, et cette attitude engendre en lui une indifférence croissante à l’égard de ses semblables."
  En fait, l’égoïsme est à la racine de cette tendance. Les gens qui se lamentent sur leur sort ne sont jamais réellement touchés par les malheurs des autres.
  Du temps où j’étais jeune médecin dans un district minier du pays de Galles, je fus appelé auprès de la femme du chef d’exploitation d’une mine, un grand bel homme, beau parleur, qui jouissait dans le village d’une autorité morale considérable. Sa femme, silencieuse, soumise, était une maîtresse de maison parfaite, aux petits soins pour son époux. A l’examen, je lui découvris une tumeur maligne du foie, très avancée, inopérable. J’annonçai tristement à son mari qu’elle n’avait plus beaucoup de temps à vivre. Jamais je n’oublierai sa réponse incroyable. Sou le coup de l’émotion, il m’empoigna par le bras et se trahit instinctivement :
  – Mon Dieu, docteur, mais que vais-je devenir quand elle ne sera plus là ?..
  Au début de ma carrière littéraire, l’étais invité de temps à autre chez la rédactrice en chef. D’un magazine à grand tirage. Jolie femme, jouissant d’une situation stable et d’un traitement coquet, elle avait un charmant appartement, une voiture et un chauffeur. Ajoutez à cela une santé parfaite et une totale absence de soucis familiaux. Cependant, à l’entendre, elle était la plus misérable créature que la terre eût portée.
  Du potage au dessert, elle déversait dans mon oreille une suite ininterrompue de lamentations sur les conditions navrantes de son existence, les difficultés de son travail, le bruit fait la veille par les voisins qui donnaient une soirée. Et cela continuait, et peu à peu elle créait l’intolérable impression que la vie est un supplice, tant et si bien qu’à la fin j’en étais épuisé, physiquement et moralement. En réalité, elle n’avait pas à se plaindre de grand-chose, mais à force de ressasser ses ennuis, réels ou imaginaires, elle les avait amplifiés hors de toute mesure et ne pouvait plus absolument s’en évader.
  Personne n’est plus à plaindre qu’un homme qui se croit le centre du monde. Combien de fois, dans le secret de son cabinet, le médecin entend cette morne plainte :
  – Docteur, je ne me sens pas bien…, je ne sais plus que faire…, je n’ai plus le goût de vivre… Je… Je…
  Je…., toujours cet inévitable "je", le cri du "moi" blessé qui s’apitoie sur lui-même. Le professeur Jung estimait que le tiers des personnes qui se présentaient à la consultation dans sa clinique de neurologie souffraient uniquement des effets désastreux d’une tendance à s’apitoyer perpétuellement sur leur sort.
  Le doute et la peur, ces grands ennemis du progrès humain, naissent des ténèbres de ce mal, et leur céder c’est créer à plaisir des obstacles sur notre route. Quiconque veut s’élever, conquérir ou accomplir une œuvre, doit détacher sa pensée de lui-même et se persuader que, dans le domaine des réalisations, quelles qu’elles soient, le résultat est à la mesure de l’oubli de soi. Si nous ambitionnons d’atteindre notre pleine stature morale, cessons de nous répandre en plaintes et en imprécations. Renonçons à nous insurger contre les circonstances, utilisons-les au contraire pour progresser, et nous découvrirons les possibilités et les forces cachées en nous-mêmes.
  Alors, quand les épreuves, les épreuves véritables, nous atteindront, nous aurons appris à faire de l’adversité une valeur positive, à la regarder bravement en face et à en tirer avantageusement parti. Si nous pensons juste et courageusement, rares seront les malheurs inhérents à l’existence humaine que nous ne pourrons faire tourner à notre avantage. Ce que j’avance là m’a été prouvé par maintes constatations personnelles.
  Un de mes jeunes amis, dont le talent de peintre était déjà consacré avant la dernière guerre, fut abattu avec son Spitfire au cours de la bataille d’Angleterre. Il eut les deux jambes brisées et une fracture du crâne qui entraîna une lésion oculaire, le rendant complètement aveugle. A sa sortie de l’hôpital où il avait failli mourir, j’allai le voir, m’attendant à trouver, dans un fauteuil roulant, une pitoyable épave humaine. Or je le découvris, soutenu par des béquilles, en train de disposer avec enthousiasme des cubes de bois sur une haute table.
  – Puisque je ne peux plus peindre, me dit-il en souriant, je vais me mettre à construire des maisons.
  Cet homme est aujourd’hui l’un des premiers architectes d’Angleterre.
  Encore un exemple… Dans la ville d’Écosse dont je suis originaire vivait, il n’y a guère longtemps, une petite vielle de quatre-vingts ans. Restée veuve à vingt-six ans – son mari étant mort accidentellement – avec cinq petits garçons et sans aucun moyen d’existence, elle se mit au travail. Grâce à sa persévérance et à son abnégation, ses fils ont fait des études universitaires et sont tous parvenus à une belle situation dans leurs professions respectives. Quand kje lui demandais (et je l’ai fait souvent, car elle était ma grand-mère) comment, au nom du ciel, elle avait pu accomplir une tâche pareille, pour toute réponse elle me disait sans aucune fierté :
  – Je n’étais pas femme à rester les deux pieds dans le même sabot.
  On trouve d’innombrables exemples d’autres âmes indomptables qui, face à de grands malheurs, ont refusé de se rendre. Songez à Hellen Keller, si incroyablement handicapée et devenue aujourd’hui l’une des plus grandes citoyennes du monde ; à Robert-Louis Stevenson, miné par la tuberculose et produisant des chefs-d’œuvres littéraires ; au P. Damien, mourant de la lèpre et continuant son œuvre admirable parmi les victimes de cet effroyable mal. Songez à tant d’inconnus, des gens comme vous et moi, qui ont surmonté la maladie, les épreuves, la souffrance continuelle et vécu bravement, glorieusement une épopée secrète d’héroïsme silencieux. Songez à tout cela et alors seulement, si vous l’osez encore, apitoyez-vous sur vous-mêmes.
  les anciens Grecs avaient un proverbe : « L’homme est à l’image de sa pensée. » La clé de tout le problème est là. Il est si facile de penser faux, non seulement à l’égard des difficultés majeures, mais aussi dans les menus détails de la vie quotidienne.
  Notre pensée à le pouvoir de nous créer ou de nous détruire. Sur cette enclume, nous pouvons forger les armes de notre ruine, mais nous pouvons aussi fabriquer des outils qui nous permettront d’édifier un asile de joie et de paix.
  Que ne décidons-nous de songer moins à nous-mêmes et davantage aux autres, de compter les bénédictions que nous dispense cette terre riche et féconde, de fortifier nos esprits contre un vain attendrissement sur nous-mêmes, de reconnaître et d’apprécier, à cette époque de vitesse et d’anxiété, les paisibles compensations que nous offre la vie ? Elles se trouvent tout autour de nous, trop souvent ignorées : beauté du soleil couchant et des nuits étoilées, joies tranquilles d’une promenade à la campagne, floraison des arbres au printemps.
  Et si, malgré tout, nous sommes en danger de succomber à une crise de détresse personnelle, souvenons-nous de Victor Hugo vieillissant et du rite vespéral auquel il se livrait sur ce rocher de Jersey.
  Pour l’accomplir à votre tour, rassemblez simplement vos peines et, en esprit, faites-en une pierre que vous jetterez au loin de vous de toutes vos forces. Après cela, vous vous sentirez beaucoup mieux.

Sur les médecins qui se plaignent

Brouillon

http://www.atoute.org/n/forum/showthread.php?t=102457


[1Ce récit retrouvé dans un vieille sélection du Reader’s Digest (1966) contient des horreurs, que je n’ai censuré, à coté d’intéressantes réflexions