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Comprendre le passage à la retraite [version 0.10 (du 21 octobre 2014]

mercredi 8 octobre 2014, par omedoc

« On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années : on devient vieux, parce que l’on a déserté son idéal. Les préoccupations, les doutes, les craintes, les désespoirs sont les ennemis qui lentement nous font pencher vers la mort. Vous resterez jeune, tant que vous resterez réceptif à ce qui est beau, bon et grand, aux messages de la nature, de l’homme... jeune est celui qui s’étonne et s’émerveille et demande : et après ? » [1]

1° Le premier jour de la retraite, le premier sentiment, c’est la sensation physique de liberté. Plus de contraintes sociales ! Le matin, au réveil on peut faire ce qu’on veut et en particulier se rendormir ou ne rien faire.

2° Cette liberté a son revers : si on n’est pas heureux c’est entièrement de notre faute. Impossible d’accuser les conditions de travail, le chef, la paperasserie...

3° On culpabilise de recevoir un revenu sans travailler. [2]

4° La retraite rend évidente la futilité de notre ancien travail [3]. On se rend compte de toute la médiocrité du système. Bien sûr on le savait, et on en souffrait. mais là ça devient tellement évident qu’on le ressent aussi physiquement...

Réaction d’un généraliste :
— "Je comprends ta réflexion négative sur le travail (accusé de nuire aux conditions de vie, de paperasserie…) et ça me semble si éloigné de mon ressenti du travail : je me lève chaque jour (ou presque) en me disant que je vais retrouver mes patients que j’aime, à qui je vais essayer d’apporter soulagement, espoir, partager leurs réflexions, celles de ma gentille stagiaire….et je ne parlerai pas de ma vie personnelle qui finit de me remplir de bonheur sous le beau ciel bleu du Midi…."

Ma réponse :
— C’est en effet ce que je sous-entendais par ricochet... Même si on n’est pas à la retraite, une fois les besoins de base assurés, il faut savoir vivre libre et heureux et non pas faire son propre malheur :
Cependant tous les métiers ne le permettent pas. Je sais que c’est possible pour les libéraux. A mon avis ce n’est pas possible dans le cadre du New public Management->http://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_gestion_publique]

5° Il faut éviter de perdre sa vie à gagner plus à chercher à cumuler les trimestres et même à éviter la décote.

6° Pour Deleuze , les personnes à la retraite n’ont qu’une chose à faire : "ÊTRE" [4]. Cette recherche n’est-elle pas la vérité de l’humain ? Ce n’est pas simple il est vrai, car on n’a pas été éduqué à "être" et/ou on n’est pas habitué à cette conversion.

ÊTRE ET AVOIR

Comme la société où nous vivons est vouée à la propriété et au profit, nous n’apercevons que rarement des indices du mode être d’existence et la plupart des gens considèrent le mode avoir comme le plus naturel, sinon comme la seule façon acceptable de vivre. Tout cela fait qu’il est particulièrement difficile pour les individus de comprendre la nature du mode être et, même, de se rendre compte que le mode avoir n’est que l’une des orientations possibles …
Nos jugements sont extrêmement faussés parce que nous vivons dans une société fondée sur la propriété privée, le profit et la puissance, qui sont les trois piliers de son existence. Acquérir, posséder et réaliser des profits sont les droits sacrés et inaliénables de l’individu de la société industrielle …
Tout ce que l’on possède peut être perdu. Il est tout à fait évident que l’on peut perdre ses biens matériels, et en même temps, habituellement, sa position sociale, ses amis, et qu’à n’importe quel moment, tôt ou tard, on doit perdre la vie …
Si je suis ce que j’ai, et si ce que j’ai est perdu, alors qui suis-je ? [5]

ÊTRE ET PARAITRE

Avant la retraite on est plus dans le paraître plus que dans l’être... Lorsqu’on travaille, on est sous le regard des collègues, de la hiérarchie, de la clientèle. On doit être dans le paraître du bon travailleur, du bon médecin. On doit jouer le rôle que la société nous demande de jouer.
Si on tient le rôle de médecin on doit bien s’habiller, parler, et se conduire d’une certaine façon : sourire alors qu’on n’en a pas envie, rassurer même quand on ne l’est pas, ne pas dire "je ne sais pas", ne pas montrer sa fragilité, souvent plaire (placebo)...
Le paraître est surtout une façon très efficace de se protéger. Et actuellement il est vital de se protéger dans son travail.
"Le paraître, n’est que le déguisement de son être, afin de ne pas être vulnérable."

7° "À la retraite, qu’est-ce qu’on a le temps !" On peut enfin approfondir non solum notre "être" sed etiam nos lectures. Je vais pouvoir savourer Prescrire. Avant, je le lisais en diagonale, donc superficiellement, à la recherche de l’utile pour mon travail. Je vais pouvoir passer à l’agréable...

8° Lorsque nous sommes forcés à faire un travail inutile [6] on a le sentiment de perdre son temps au travail. la retraite nous rappelle que : "Le temps presse avant l’éternité, il ne faut pas le gaspiller. [7]"

9° La retraite c’est aussi la fin de la souffrance au travail :

"Ce système de santé consumériste, délirant et de plus en plus iatrogène me fait trop souffrir. Je vais m’arrêter ces prochaines semaines. Ne plus participer à tout cela."

le travail est devenu extrêmement pathogène. C’est pour cela que les gens partent à la retraite dès qu’ils peuvent... Avec un travail utile beaucoup voudraient continuer de travailler.

10° Un retraité vit plus dans l’instant présent.


[1Samuel Ullman, poète et homme d’affaire américain de la fin du XIXe siècle.

[2Un revenu sans rien faire d’utile pour les autres, peut nous culpabiliser par rapport à la société (en particulier par rapport aux jeunes qui triment ou qui sont au chômage...).

[3Je ne parle pas de l’assurance maladie telle qu’elle a été instituée, telle qu’elle devrait être et pourrait être, mais de ce qu’elle est devenue : une entreprise industrielle...

[4[Abécédaire : Voir ici : Il parle de la vieillesse à partir de 7’08’’
et la citation sur l’être est à partir de 9’38’ et la suite séquence 3

[5Erich Fromm (Dictionnaire de pratique gérontologique (Yves Kagan – éd. Frison-Roche) 1997)

[6Avec un management pathogène

[7Khosrow Chadan, Persan III° millénaire.