Accueil > Articles divers > Politique > Politique > Comment lutter contre les statistiques (les nombres) qui nous gouvernent.

Comment lutter contre les statistiques (les nombres) qui nous gouvernent.

lundi 5 septembre 2016, par omedoc

Prise de note à partir du livre "Statactivisme. Comment lutter avec des nombres."

Les statistiques nous gouvernent.
Argument d’autorité au service des managers, elles mettent en nombre le réel et maquillent les choix qui sont en fait, politiques.
Il semble qu’il n’y ait guère aujourd’hui de meilleur exemple d’autorité capable de désarmer toute critique qu’un nombre ou un réseau de nombres. La quantification joue souvent un rôle de premier plan pour produire l’« autorité des faits ». [1]
Lutter contre ces statistiques qui nous gouvernent est légitime :
 pour d’abord se défendre. Il s’agit même de légitime défense.
 ensuite pour des raisons politiques (changer le système).
 enfin les dominants ne sont pas dupes et utilisent les statistiques en tant qu’outil de politique (manipulation).

Le statactivisme : lutter avec les nombres
On peut se contenter de déplorer cet état de fait ou de critiquer les chiffres. On peut aussi, comme au judo, prolonger le mouvement de l’adversaire afin de détourner sa force et la renvoyer en pleine face.
On peut alors montrer qu’une autre réalité est possible et rendre réelles d’autres possibilités.
Il ne faut pas laisser le monopole de ces instruments aux puissants.
Les statistiques n’ont pas seulement un pouvoir critique elles ont aussi un pouvoir émancipateur qu’il faut se réapproprier.

- On peut ruser, individuellement et souvent secrètement, avec les règles de rendu des comptes de façon à s’approprier les résultats de l’exercice.

Une pratique statactiviste très largement répandue aujourd’hui, même si elle reste aussi discrète qu’elle est commune, consiste, pour les acteurs situés en bas de la hiérarchie, à se ménager des marges de manœuvre à l’intérieur du cadre des comptes rendus statistiques qui leur sont imposés. cette façon de résister à l’évaluation revient à se comporter exactement comme les dirigeants, c’est à dire à ne pas vraiment croire à la lettre de la règle, pour l’adapter dans un sens qui convient mieux à celui à qui elle s’applique. mais la principale différence entre le haut et le bas de la hiérarchie consiste à ce qu’en bas ces réadaptations sont tenues secrètes, ou plus exactement, sont effectuées discrètement, car tenues pour illégitimes, alors qu’en haut elles peuvent être proclamées comme n’étant rien d’autre que des adaptations salutaires de la règle, gages de souplesse et de flexibilité. l’émancipation statactiviste, en l’occurrence, consiste pour les dominés, d’une part, à prendre des libertés avec la règle et, d’autre part, à rendre publique et légitime une pratique courante, mais mise sous le boisseau.

Un statactivisme à double détente.

[Au premier niveau] il concerne tous les agents d’une administratif consiste en l’appropriation des règles de production des données qui servent à l’auto-évaluation de façon à, plus ou moins discrètement, plus ou moins ouvertement, les adapter à ses propres intérêts — qui peuvent aller de la pure veulerie et flatterie des attentes du chef à la plus fière indépendance[...] L’activité statistique contraint au codage, sans quoi il n’y aurait pas de données quantifiées, mais le codage, qui est le plus souvent laissé entre les mains des agents les plus dominés de la hiérarchie, laisse nécessairement à ces derniers une marge de manœuvre. Il leur ouvre toujours des possibles [2]. Parce que, comme aujourd’hui, le codeur est celui-là même qui sera évalué par les données qu’il code, il utilise cette possibilité à son profit. Il s’émancipe.
À un second niveau, le statactivisme consiste à agréger toutes ces pratiques locales et à montrer que, aussi silencieuses soient-elles, elles n’en sont pas moins si courantes que l’on peut accuser l’institution entière de ne pas réellement poursuivre les buts qu’elle affiche.

- On peut mobiliser les statistiques pour consolider des catégories collectives sur lesquelles s’appuyer pour revendiquer des droits et défendre des intérêts.

- On peut produire des indicateurs alternatifs pour redéfinir le sens de nos actions.

De nombreuses expériences statactvistes interviennent à ce niveau : pour que la statistique officielle redistribue les priorité des l’action des institutions, elles militent pour qu’elle tienne compte d’autres aspects de la réalité et proposent des indicateurs alternatifs.
Parmi ces derniers, certains épinglent les effets pervers insoupçonnés de politiques publiques managériales. D’autres pointent l’importance et la pertinence d’éléments qui ne sont pas pris en considération par les mesures quantitatives officielles. les uns permettent de compter ce qui ne compte pas (encore), les autres de discuter l’indiscutable.
Les effets pervers peuvent être comptés de deux façons.
 D’une part, on met en série des faits qui sont évidemment déplaisants pour rendre visible leur caractère systématique et répété.
 d’autre part, on passe par le détour de l’argent, et on rappelle le prix d’une politique — bien entendu trop élevée.

Il faut s’allier pour être fort et la statistique est un des tout premiers ciments de ces alliances.
Il faut utiliser les statistiques pour redéfinir les objectifs qui sont poursuivis par les institutions.
Il n’y a pas de raison de nous laisser imposer les éléments de réalités qui déterminent le sens de nos actions.
Il s’agit de prendre en compte l’autorité des faits, sans oublier que nous participons à les faire.

Renoncer à la quantification serait une erreur tactique.
Si une certaine forme d’activisme par le nombre est devenue aujourd’hui incontournable, c’est d’abord en raison du rôle central joué par les instruments de quantification dans le maintien des fatalités contre lesquelles les luttes émancipatrices s’engagent. En effet, le codage, les catégories, les indicateurs, bref toutes les entités statistiques, apportent une contribution décisive à la construction de réalités qui se tiennent. À juste titre dénonçable en tant qu’équipement de base de la« cage de fer » de la raison capitaliste, la quantification ne doit pas être désinvestie au profit de l’exaltation des qualités, des singularités et de l’incommensurable. Un tel renoncement serait une erreur tactique, car la stabilité contraignante des entités statistiques n’est pas inébranlable.


[1Pour les médecins : RIAP, P4P, MSO, MSAP, exploitation de la base de donnée sécu, Ondam, Dépenses de santé, PLFSS...

[2THEVENOT, L., 1983, « L’économie du codage social », Critiques de l’Economie Politique, n°23-24, pp. 188-222.